Second Life n’a plus d’intérêt ? Jeu de mots ou pas, telle est la question.
"As of January 22, 2008, it will be prohibited to offer interest or any direct return on an investment (whether in L$ or other currency) from any object, such an ATM, located in Second life…"
"Interdit d’offrir des intérêts… sur un investissement (que ce soit en L$ ou une autre devise) à partir de n’importe quel objet, tel qu’un automate, situé dans Second Life… "
La première chose qui vient à l’esprit quand on lit cette annonce de Linden Lab tombée hier, c’est qu’elle est marquée par l’incompétence. Tout autoriser (taux d’intérêt non plafonné) puis tout interdire brutalement (taux d’intérêt nul), c’est le signe d’une absence de maîtrise du sujet. Un régulateur économique compétent – car c’est bien ainsi que se positionne Linden Lab – ne procède pas de cette façon.
"As of January 22, 2008, it will be prohibited to offer interest or any direct return on an investment (whether in L$ or other currency) from any object, such an ATM, located in Second life…"
"Interdit d’offrir des intérêts… sur un investissement (que ce soit en L$ ou une autre devise) à partir de n’importe quel objet, tel qu’un automate, situé dans Second Life… "
La première chose qui vient à l’esprit quand on lit cette annonce de Linden Lab tombée hier, c’est qu’elle est marquée par l’incompétence. Tout autoriser (taux d’intérêt non plafonné) puis tout interdire brutalement (taux d’intérêt nul), c’est le signe d’une absence de maîtrise du sujet. Un régulateur économique compétent – car c’est bien ainsi que se positionne Linden Lab – ne procède pas de cette façon.
De plus, les systèmes permettant de détourner l’interdiction telle que formulée (hâtivement ?) par Linden Lab sont innombrables.
1. Trois illustrations simples
Le vendeur de petits cochons roses -
J’ai ébauché ce modèle à la volée en commentaire du billet de Riona publié le 8 janvier 2008 sur SLObserver. Il fonctionne de la façon suivante :
- Le commerçant vend dans Second Life des animaux virtuels non copiables (et peut-être même numérotés) appelés “petits cochons roses”. Chaque petit cochon rose coûte 1 L$.
- Pour dix (ou 20 ou 30) petits cochons roses achetés, le commerçant offre gratuitement chaque mois un petit cochon supplémentaire "en cadeau", afin de récompenser l’acheteur de son amour pour les petits cochons roses.
- Le commerçant s’engage à racheter à tout moment chaque petit cochon rose d’origine au prix de 1 L$. Cette offre est naturellement valable aussi bien pour les cochons achetés que pour les cochons reçus “en cadeau”.
- S’il le souhaite, l’acheteur peut mettre des cochons roses sur son terrain ou les conserver dans son inventaire. Mais le commerçant propose un service gratuit très pratique consistant à assurer la garde des petits cochons roses pour le compte de ses clients. Le possesseur de cochons roses peut se rendre sur un site spécial (ou un lieu de Second Life) où il peut: 1) voir l’état de son cheptel de cochons roses (qui augmente de façon rapide grâce aux cochons "bonus") ; 2) acheter de nouveaux petits cochons roses ; et 3) revendre des cochons roses au commerçant.
- On pourrait même imaginer un script de "vie artificielle" implémenté dans les cochons roses pour qu’ils se reproduisent automatiquement selon des règles pré-établies, ce qui est fort amusant et évite au commerçant d’avoir à se préoccuper de l’attribution des cochons bonus.
Le promoteur de l’île aux petits pains -
Le promoteur achète une île à Linden Lab qu’il appelle "l’île aux petits pains" et il la découpe en plusieurs parcelles. Il met ensuite au point un contrat spécial qui fonctionne de la façon suivante : 1) vente de la parcelle au client pour un prix convenu ; 2) re-location immédiate par le promoteur de la parcelle au client ; 3) à échéance fixée, revente de la parcelle au promoteur par le client. Pendant la période de location, le promoteur paie au client un montant mensuel couvrant les "frais de propriété" payés à Linden Lab plus une marge. Le promoteur de l’île aux petits pains exerce par ailleurs son métier d’agence immobilière pour couvrir les frais payés à Linden Lab et générer quelques bénéfices.
Ginkobank Habilis, conseiller en banque privée -
Ginkobank Habilis est un avatar, conseiller en banque privée dans Second Life. Il propose différents services financiers et, entre autres, un produit d’épargne sur-rémunéré. Le minimum de dépôt est de 50.000 L$. Ginkobank Habilis n’utilise pas d’automate puisque c’est interdit, mais il reçoit ses clients dans son magnifique bureau. Il est aussi possible de communiquer avec lui par IM. Les dépôts du client s’effectuent directement auprès de Ginkobank Habilis par le biais du système de paiement interne de Second Life et les retraits d’argent effectués par le client se font par le même canal.
2. Des cas réels
Les trois scénarios ci-dessus permettent théoriquement d’offrir un paiement d’intérêt ou son équivalent, tout en étant conformes à la réglementation édictée par Linden Lab. Un peu caricaturaux, ils ont surtout une valeur pédagogique et ludique. Mais il existe d’autres dispositifs possibles, plus sérieux et bien plus efficaces.
Exemple 1 : achat en bourse virtuelle (de type WSE) d’obligations de sociétés virtuelles présentes dans Second Life ; tous les règlements (achats, versements d’intérêt) sont effectués, sur un site Internet dédié, dans une devise virtuelle qui n’est pas le L$ (par exemple le WIC) ; le site Internet propose également un service de change permettant d’acheter des L$ (ou des devises réelles) avec des WIC.
Exemple 2 : mise en place d’un modèle de "versant coopératif" suivant des principes analogues à celui de la finance islamique, qui n’autorise pas le paiement d’intérêts; dans ce modèle, le versant coopératif peut partager les profits de la banque à hauteur de sa contribution, la banque pouvant utiliser les dépôts pour financer des projets.
3. Conclusions
L’interdiction qui vient d’être promulguée n’est pas le signe d’un contrôle de l’économie de Second Life, c’est au contraire, à mon avis, un signal de son abandon. Linden Lab semble réduire ses ambitions et va finir par exercer une activité qui ne sera pas très différente de celle d’un simple "hébergeur de sites Internet". Seulement voilà : lorsqu’on évoque l’émergence d’Internet et le succès du e-commerce depuis la fin des années 90, on pense à des sociétés comme Google, Yahoo, eBay ou PayPal et certainement pas aux hébergeurs de sites Internet. Dommage pour l’avenir de Linden Lab dans l’univers du v-commerce…
De plus, cette interdiction pourrait sérieusement affecter, directement ou indirectement, l’activité de certaines start-ups qui ont lancé dans Second Life des activités à caractère financier. Si les bourses virtuelles ne seront probablement touchées qu’à la marge, une petite société telle que First Meta, qui offre des services de carte de crédit dans SL, le sera plus probablement. Cela pose la question importante de savoir s'il fait toujours sens pour les start-ups (et pas seulement les start-ups financières) de concentrer leurs efforts sur une plate-forme propriétaire telle que Second Life, compte tenu de la façon erratique dont l’économie y est "gérée" et des risques correspondants.
A quelque chose malheur est bon. D’abord, les escrocs vont devoir devenir plus intelligents. Ensuite, des banques et des institutions financières non bancaires "légales" vont peut-être faire leur apparition dans Second Life ou à son pourtour. Il est probable qu’elles auront tendance à offrir leurs services financiers en devise réelle et non en L$ - tout simplement parce que le L$ n’est pas une devise – et, lorsque les mécanismes de paiement seront en place, les marchands de Second Life vendront directement leurs biens virtuels contre devise réelle. Si le futur du L$ et de son économie semble désormais bien sombre, d’autres économies virtuelles, en devise virtuelle (par exemple WIC) ou réelle, vont se développer et ces économies-là échapperont totalement au contrôle de Linden Lab. Requiem aeternam dona eis.
- S’il le souhaite, l’acheteur peut mettre des cochons roses sur son terrain ou les conserver dans son inventaire. Mais le commerçant propose un service gratuit très pratique consistant à assurer la garde des petits cochons roses pour le compte de ses clients. Le possesseur de cochons roses peut se rendre sur un site spécial (ou un lieu de Second Life) où il peut: 1) voir l’état de son cheptel de cochons roses (qui augmente de façon rapide grâce aux cochons "bonus") ; 2) acheter de nouveaux petits cochons roses ; et 3) revendre des cochons roses au commerçant.
- On pourrait même imaginer un script de "vie artificielle" implémenté dans les cochons roses pour qu’ils se reproduisent automatiquement selon des règles pré-établies, ce qui est fort amusant et évite au commerçant d’avoir à se préoccuper de l’attribution des cochons bonus.
Le promoteur de l’île aux petits pains -
Le promoteur achète une île à Linden Lab qu’il appelle "l’île aux petits pains" et il la découpe en plusieurs parcelles. Il met ensuite au point un contrat spécial qui fonctionne de la façon suivante : 1) vente de la parcelle au client pour un prix convenu ; 2) re-location immédiate par le promoteur de la parcelle au client ; 3) à échéance fixée, revente de la parcelle au promoteur par le client. Pendant la période de location, le promoteur paie au client un montant mensuel couvrant les "frais de propriété" payés à Linden Lab plus une marge. Le promoteur de l’île aux petits pains exerce par ailleurs son métier d’agence immobilière pour couvrir les frais payés à Linden Lab et générer quelques bénéfices.
Ginkobank Habilis, conseiller en banque privée -
Ginkobank Habilis est un avatar, conseiller en banque privée dans Second Life. Il propose différents services financiers et, entre autres, un produit d’épargne sur-rémunéré. Le minimum de dépôt est de 50.000 L$. Ginkobank Habilis n’utilise pas d’automate puisque c’est interdit, mais il reçoit ses clients dans son magnifique bureau. Il est aussi possible de communiquer avec lui par IM. Les dépôts du client s’effectuent directement auprès de Ginkobank Habilis par le biais du système de paiement interne de Second Life et les retraits d’argent effectués par le client se font par le même canal.
2. Des cas réels
Les trois scénarios ci-dessus permettent théoriquement d’offrir un paiement d’intérêt ou son équivalent, tout en étant conformes à la réglementation édictée par Linden Lab. Un peu caricaturaux, ils ont surtout une valeur pédagogique et ludique. Mais il existe d’autres dispositifs possibles, plus sérieux et bien plus efficaces.
Exemple 1 : achat en bourse virtuelle (de type WSE) d’obligations de sociétés virtuelles présentes dans Second Life ; tous les règlements (achats, versements d’intérêt) sont effectués, sur un site Internet dédié, dans une devise virtuelle qui n’est pas le L$ (par exemple le WIC) ; le site Internet propose également un service de change permettant d’acheter des L$ (ou des devises réelles) avec des WIC.
Exemple 2 : mise en place d’un modèle de "versant coopératif" suivant des principes analogues à celui de la finance islamique, qui n’autorise pas le paiement d’intérêts; dans ce modèle, le versant coopératif peut partager les profits de la banque à hauteur de sa contribution, la banque pouvant utiliser les dépôts pour financer des projets.
3. Conclusions
L’interdiction qui vient d’être promulguée n’est pas le signe d’un contrôle de l’économie de Second Life, c’est au contraire, à mon avis, un signal de son abandon. Linden Lab semble réduire ses ambitions et va finir par exercer une activité qui ne sera pas très différente de celle d’un simple "hébergeur de sites Internet". Seulement voilà : lorsqu’on évoque l’émergence d’Internet et le succès du e-commerce depuis la fin des années 90, on pense à des sociétés comme Google, Yahoo, eBay ou PayPal et certainement pas aux hébergeurs de sites Internet. Dommage pour l’avenir de Linden Lab dans l’univers du v-commerce…
De plus, cette interdiction pourrait sérieusement affecter, directement ou indirectement, l’activité de certaines start-ups qui ont lancé dans Second Life des activités à caractère financier. Si les bourses virtuelles ne seront probablement touchées qu’à la marge, une petite société telle que First Meta, qui offre des services de carte de crédit dans SL, le sera plus probablement. Cela pose la question importante de savoir s'il fait toujours sens pour les start-ups (et pas seulement les start-ups financières) de concentrer leurs efforts sur une plate-forme propriétaire telle que Second Life, compte tenu de la façon erratique dont l’économie y est "gérée" et des risques correspondants.
A quelque chose malheur est bon. D’abord, les escrocs vont devoir devenir plus intelligents. Ensuite, des banques et des institutions financières non bancaires "légales" vont peut-être faire leur apparition dans Second Life ou à son pourtour. Il est probable qu’elles auront tendance à offrir leurs services financiers en devise réelle et non en L$ - tout simplement parce que le L$ n’est pas une devise – et, lorsque les mécanismes de paiement seront en place, les marchands de Second Life vendront directement leurs biens virtuels contre devise réelle. Si le futur du L$ et de son économie semble désormais bien sombre, d’autres économies virtuelles, en devise virtuelle (par exemple WIC) ou réelle, vont se développer et ces économies-là échapperont totalement au contrôle de Linden Lab. Requiem aeternam dona eis.
1 commentaire:
Merci pour cet excellent article sur cette dernière décision de Linden Labs, Wangxiang !
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